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Locked box versus completion accounts

Plusieurs mécanismes de fixation du prix sont envisageables dans le cadre d’une transaction. Le mécanisme de la locked box a progressivement gagné du terrain en Europe au cours des dernières décennies, en particulier lorsque l’opération implique un ou plusieurs fonds d’investissement. Aux États-Unis, les transactions sont encore traditionnellement effectuées sur la base des comptes de clôture (mécanisme des « completion accounts »). Les fonds américains de private equity, qui se sont habitués au concept de locked box dans les processus de vente européens, optent toutefois de plus en plus souvent pour ce dernier mécanisme.

Cette pratique présente pour ces fonds de nombreux avantages : sécurisation de la transaction avec un prix fixé au moment de la signature du contrat d’acquisition (« signing »), meilleure comparabilité des offres dans les processus d’enchères et de négociation incluant plusieurs candidats potentiels à la reprise, remontée plus rapide des produits de la vente aux investisseurs à l’issue de la réalisation de l’opération (« closing »), moindre risque de contestation des modalités de la transaction post closing.

Le fonctionnement de la locked box

Les parties s’accordent au moment du signing sur le prix d’acquisition final en utilisant les derniers états financiers audités[1] (qui seront couverts par les garanties) et ne prévoient pas d’ajustement post closing. Le risque économique est ainsi transféré à l’acquéreur au moment du signing, alors même que le cédant a encore le contrôle de l’entreprise. Le mécanisme de base est ainsi généralement considéré comme favorable pour le cédant ; les engagements pris par ce dernier peuvent toutefois conduire à un rééquilibrage des forces en présence.

Le passage de la valeur d’entreprise à la valeur des fonds propres (« equity bridge ») est négocié sur la base des due diligences réalisées par l’acquéreur pendant le processus de vente, lequel comprend généralement une période suffisamment longue avant la remise des offres engageantes. En l’absence d’ajustement post closing, le contrat prévoit des clauses visant à empêcher certaines fuites de valeur (« non-permitted leakage ») pour préserver la valeur de la cible entre la date de « verrouillage de la boîte » et le closing.

Un mécanisme souvent inapproprié pour les transactions avec carve out…

La mise en place de ce mécanisme s’avère toutefois complexe dans certaines situations, notamment dans le cas des transactions nécessitant un détourage préalable des activités cédées (« carve out »), en particulier lorsque le carve out n’est pas finalisé lors de la remise des offres engageantes et, a fortiori, au moment du signing. Même si les principaux actifs ont été clairement identifiés par l’acquéreur, ce dernier ne doit pas sous-estimer les diligences à mener pour s’assurer de la qualité de l’information comptable et financière mise à sa disposition.

Les transactions avec carve out comportent en effet plusieurs difficultés et aléas, se traduisant par des risques accrus pour l’acquéreur, et rendant souvent inapproprié ce mécanisme de prix :

  • absence de bilan de référence pour le verrouillage initial de la « boîte », ou existence uniquement de comptes pro forma inadaptés pour la mise en place des garanties ;
  • visibilité restreinte de l’acquéreur sur le périmètre acquis au moment du signing, pouvant le conduire à une mauvaise estimation de la valeur d’entreprise et/ou à une erreur dans la conception de l’equity bridge ;
  • complexité du processus de détourage entraînant un risque d’allongement du délai entre le signing et le closing ;
  • difficultés à isoler les flux de trésorerie des activités transférées[2] et/ou existence de flux intragroupe, impliquant un risque plus élevé d’une fuite de valeur qui n’aurait pas été correctement encadrée par les clauses de non-permitted leakage inscrites dans le contrat d’acquisition.

… mais parfois compatible et avantageux par rapport au mécanisme des completion accounts

La mise en place d’une locked box reste toutefois possible dans certains cas. Avant d’écarter ou d’opter définitivement pour ce mécanisme, les parties doivent examiner avec soin les bénéfices et les contraintes de chaque méthode de fixation du prix dans le calendrier visé, et déterminer si les caractéristiques de la cible et le processus de détourage sont compatibles avec la locked box.

Ce mécanisme présente notamment un intérêt dans un contexte de restructuration d’une entreprise en difficultés, pour sécuriser le prix de la transaction et donner de la visibilité aux différentes parties prenantes (actionnaires minoritaires, créanciers…) ainsi qu’aux organes de gouvernance amenés à effectuer des arbitrages dans un calendrier restreint. En facilitant l’exécution de la transaction, l’acquéreur peut espérer obtenir des concessions sur les modalités financières de la transaction. Le renforcement des due diligences avant la signature du contrat d’acquisition et les interactions que l’acquéreur est susceptible d’avoir avec l’entreprise cible au sujet du processus de détourage peuvent également être bénéfiques et conduire à l’identification et la résolution de certaines problématiques en amont du closing.

Le degré de complexité résulte notamment des réponses aux questions suivantes :

  • les activités transférées étaient-elles historiquement localisées dans des entités juridiques distinctes disposant de comptes propres ?
  • à défaut, une comptabilité analytique permet-elle de rattacher à la fois les produits et les charges mais aussi les actifs et les passifs (en ce compris les comptes clients et fournisseurs sous-tendant le BFR) aux différentes activités de la cible ?
  • la cible détient-elle des actifs et contrats mixtes (i.e. se rattachant à la fois aux activités transférées et aux autres activités conservées par le cédant) ;
  • quelle est la nature des flux intragroupe (accords commerciaux conclus dans des conditions de pleine concurrence, refacturation des fonctions support et/ou soldes de financement intragroupe) ?
  • la cible a-t-elle obtenu l’accord de l’ensemble de ses co-contractants pour le transfert de contrôle envisagé ?
  • la cible maintiendra-t-elle des relations avec le groupe une fois le détourage finalisé ?
  • le processus de détourage est-il suffisamment maîtrisé pour ne pas mettre en péril le calendrier global de l’opération ?
  • les activités transférées sont-elles soumises à une forte saisonnalité, compliquant la fixation d’un BFR contractuel cible ?

En cas de mise en place d’un mécanisme de locked box, les parties devront trouver des moyens pour limiter l’impact potentiel des risques identifiés et l’acquéreur devra être particulièrement vigilant à la qualité des informations exploitées dès lors qu’il ne dispose pas d’un track record suffisamment fiable.

La conception d’une locked box dans un deal avec carve out

Lorsque le carve out a d’ores et déjà été finalisé à l’étape du signing, les parties peuvent mettre en place une locked box de manière classique. En l’absence de comptes en bonne et due forme au moment du signing, il ne s’agit pas tant de verrouiller la boîte (en cours de fabrication !), que de définir son futur contenu.

Si le signing intervient avant la finalisation du détourage, les parties conviendront en général d’un BFR cible réputé correspondre au besoin « normatif » de l’activité détourée[3]. La sous-estimation de ce besoin conduira l’acquéreur à financer le surplus et entraînera de facto un transfert de valeur de l’acheteur au bénéfice du cédant. En cas de saisonnalité de l’activité et/ou d’aléas sur le calendrier de réalisation du détourage, la fixation d’une cible contractuelle peut s’avérer inefficace. Les parties peuvent compléter les dispositions contractuelles par des règles visant à encadrer les délais de règlement clients et/ou fournisseurs, l’entreprise cible pouvant toutefois souvent influer sur les rythmes de facturation. Par ailleurs, le prix d’acquisition final n’étant plus complètement figé, les parties peuvent insérer dans le contrat d’acquisition des clauses de sortie afin d’atténuer les risques liés à des ajustements significatifs du prix d’acquisition.

De manière générale, des mécanismes hybrides de fixation du prix peuvent être envisagés avec, par exemple, un ajustement de certains éléments de l’equity bridge sur la base d’une situation comptable établie ultérieurement. En tout état de cause, les contraintes et les risques liés au mécanisme de fixation du prix retenu devront être examinés le plus en amont possible du processus de vente, afin de pouvoir les gérer de manière efficace dans le corpus juridique de la transaction.

Par Romain Delafont

[1] En l’absence de comptes récents ayant fait l’objet d’un audit légal, les parties prennent parfois comme référence des comptes intermédiaires non audités revus par l’acquéreur dans le cadre de ses due diligences.

[2] Lorsque les activités transférées ne sont pas localisées dans des entités juridiques distinctes, l’enveloppe de trésorerie incluse dans le carve out est généralement déterminée par les parties de manière conventionnelle et correspond souvent au niveau de trésorerie permettant d’assurer la continuité des opérations et de garantir le fonctionnement autonome de la branche d’activité.

[3] Lorsque le contrat d’acquisition prévoit des ajustements symétriques, un BFR inférieur (supérieur) au niveau cible conduit le cédant (l’acquéreur) à indemniser l’acquéreur (le cédant).

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