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Le courage est une vertu qui n’est pas explicitement inscrite dans le Code de Déontologie des professionnels du chiffre, mais dont les magistrats attendent que nous l’exercions avec une vigueur quasiment romaine. Illustrons ce propos avec un récent arrêt de la Cour de Cassation.

Un expert-comptable sait que son client crée des achats fictifs pour récupérer de la TVA déductible et enregistre les factures sans sourciller. L’entreprise est cédée ; les acquéreurs découvrent le pot aux roses et déposent plainte. Que risque l’expert-comptable ?

Au plan civil, la faute est avérée, le dommage calculable, il reste la question du quantum, de la répartition de la responsabilité entre l’expert-comptable et son ancien client.

Au regard du droit pénal, la question est plus délicate ; l’expert-comptable n’a pas aidé son client, il a simplement laissé faire, sans protester ni démissionner. Est-il complice, sachant que la complicité suppose normalement des actes positifs d’une part, et une intervention antérieure ou concomitante au délit principal d’autre part ? La Cour de Cassation dans un arrêt récent[1] répond « qu’en transcrivant systématiquement en comptabilité des écritures dissimulant des délits qui se sont renouvelés pendant la période de la prévention, l’expert-comptable a sciemment, par aide et assistance, favorisé la préparation et la consommation des abus de biens sociaux poursuivis ».

Le commissaire aux comptes de la société a, quant à lui, certifié les comptes sans réserves pendant toute la durée de la prévention ; il est donc poursuivi pour non-révélation de faits délictueux. La Cour d’Appel le relaxe, estimant « qu’il n’est pas établi, au-delà de tout doute possible, que le commissaire ait eu connaissance de la suite significative des détournements (…) ou même des moyens comptables de perpétration des délits ». Saine application du principe selon lequel la caractérisation d’un délit suppose un élément moral et de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui, depuis près de vingt ans, exige des cours et tribunaux qu’ils apportent  la preuve de la connaissance par le commissaire aux comptes des faits délictueux qu’il n’a pas révélés.

Las ! La Cour de Cassation casse et renvoie au motif qu’en statuant ainsi « alors qu’il résulte de ses propres constatations que le prévenu avait nécessairement connaissance d’irrégularités susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale, la Cour d’Appel n’a pas justifié sa décision ».

Me Dezeuze, dans sa note sous cet arrêt, veut n’y voir qu’un arrêt d’espèce dans la mesure où la Cour d’Appel avait indiqué que « les comptes certifiés sans réserve comportaient des factures d’achat étrangères à l’objet de la société, d’un montant très élevé et des fausses factures sans en-tête commerciale ». Bref, l’arrêt de la Cour d’Appel est empreint de contradiction, il est logique qu’il soit cassé. Attendons donc la décision de la Cour de renvoi pour en avoir le cœur net ! Mais le doute n’est guère permis : depuis un arrêt du 31 janvier 2007, la Cour de Cassation a pris le virage « d’une présomption de mauvaise foi des professionnels comptables »[2] qu’il sera bien difficile de combattre[3].

Dominique LEDOUBLE


[1] Cass. Crim. 25 févr. 2009, Joly Sociétés 2009 §162 note Dezeuze.
[2] L’expression est du Professeur Merle, critiquant l’arrêt en question in Bull. CNCC 2007-313.
[3] Sur ces sujets, voir l’ouvrage collectif intitulé «Comptabilité et droit pénal », p.389 & s., Litec 2009.

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